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par la France Ils étaient deux paysans, originaires de Tauves dans le Puy-de-Dôme. Mobilisés dès 1914, victimes de la Grande Guerre, ils ne sont pas morts au front. François Brugière n’a survécu que deux mois à la déportation dans un bagne d’Algérie où il se trouvait pour avoir refusé de tirer sur le caporal Joseph Dauphin, fusillé le 12 juin 1917. |
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LE SOLDAT ANONYME ET LE HÉROS Originaires de la même commune - Tauves, dans le Puy-de-Dôme - incorporés dès quatorze dans le même régiment de chasseurs à pied, François Brugière, 31 ans, célibataire. et Joseph Dauphin. 35 ans, marié, père d'un enfant, n'ont pas vraiment accompli la même guerre, pourtant. En juin 1917, François n'est, somme toute,
qu'un poilu parmi d'autres, S'il a beaucoup souffert. il ne compte aucun
fait d'armes particulier, et sa correspondance renvoie l'image d'un paysan,
beaucoup plus attaché aux choses de la terre qu'à celles
de la guerre, "Que fait le veau de la Cantallouse ?". demande-t-il par
exemple, dans une carte adressée à Thérèse,
la petite dernière de la famille. qui est également sa filleule...
et sa préférée.
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Peut-être. Toujours est-il que le jovial Célestin, 85 ans, ancien facteur et dernier descendant du martyr, conteste formellement cette version. Son épouse Mathilde, 81 ans et une pêche d'enfer, également. Pour eux, Joseph se serait contenté d'interpréter (ou... d'exécuter vocalement des chansons à boire, du genre "J'ai deux grands bœufs dans mon étable". Ce qui est sûr, c'est que Joseph avait une
voix forte, qu’il était parmi les "mutins", le seul gradé.
Et qu'il était manifestement trop alcoolisé pour savoir ce
qu'il disait "Je n'y coupe pas de mes quinze jours". confia d'ailleurs,
sitôt dégrisé, le pauvre bougre. qui était à
cent lieues d'imaginer la suite : conseil de guerre et condamnation à
mort avec exécution immédiate au presque.
Joseph est fusillé, bien sûr. Onze balles
dans le corps, une dans la tête. Fusillé et enterré
comme un malpropre, puisque la croix plantée sur sa misérable
tombe portait l'inscription "Mort en lâche". François- Brugière,
lui, ne sera pas fusillé, mais envoyé au bagne militaire
de Chief (ex-Orléansville), où il périra d'épuisement,
deux mois plus tard. Son corps gît quelque part en Algérie.
Où précisément ? Nul ne le saura jamais.
Michel LEMAITRE. (Photos Christian SAGNE).
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Les lendemains de deuil
Les sept fils Brugière ont été mobilisés. Deux Jean et Marcellin ont péri au front François est décédé en Algérie, dans les circonstances que l'on sait, Jules et Antoine sont morts chez eux, mais prématurément, et des suites de la guerre. Aussi amoché fût - il, Joseph, le lettré de la famille (il était titulaire du certificat d'études supérieures) a tant que faire se pouvait, dominé sa souffrance physique pour devenir le fondateur et l'infatigable animateur de l'Amicale du Mutilés et Anciens Combattant de Tauves. Seul, Pierre est revenu pratiquement intact de la guerre. Quant aux malheureux parents ... Jean, le père, a, on l'a vu, été victime en 1916 d'un accident fatal et Marie, la mère, n'a pu résister à tant de deuils accumulés : elle s'est à son tour éteinte un an environ après son malheureux époux. Le temps n'a, évidemment, pas suffi à alléger la peine des survivants : "Thérèse, ma mère ne s'est jamais consolée de la mort de son frère et parrain. Même à la fin de sa vie, son regard s'emplissait de larmes, dès qu'elle évoquait sa mémoire", témoigne Jean-Marie, Sepchat. 78 ans, ancien coiffeur à Tauves, et petit-neveu de François. Mais la famille martyre a, aussi, toujours fièrement porté (voire revendiqué) l'héritage moral légué par ce frère, cet oncle, mort pour avoir refusé de jouer les bourreaux. Chez les Dauphin, en revanche, le souvenir du caporal fusillé était beaucoup plus dur à porter. Malgré la vigoureuse campagne de réhabilitation conduite dans les colonnes de "La Montagne", par Henry Andraud, l'ombre du pseudo traître a toujours plané sur la veuve, comme sur l'orphelin. Le célibat du fils Michel, décédé en 1970 des suites d'un cancer, n'aurait, dit-on, pas d'autre justification que cette plaie jamais refermée. Le caractère difficile de l'épouse, Marie-Bernard "une femme pas facile", de l'aveu même de Célestin et Mathilde Dauphin, qui l'avaient hébergée quelques mois, sur la fin de sa vie s'expliquerait, pour partie au moins, par le poids d'une histoire officielle, peu complaisante envers les fusillés de 1917. Curieusement, Marie-Bernard avait jeté les citations décernées à son époux. En revanche, elle avait cousu une petite pochette de tissu blanc, dans laquelle elle avait conservé la croix de guerre... et la totalité des articles d'Henry Andraud. Le nom de Joseph Dauphin avait, dès 1922, rejoint, sur la stèle du souvenir, celui des autres enfants de Tauves morts pour la patrie. Avant de mourir, pourtant, Marie-Bernard avait très expressément demandé qu'à la sortie de la messe d'enterrement, son cercueil gagne directement le cimetière, sans marquer un temps d'arrêt devant le monument aux morts, comme le voulait la coutume. Dans ce contexte, les récentes déclarations de Lionel Jospin ont exercé, sur tous, un effet libérateur. Le soulagement serait total, sans les déclarations d'un représentant en vue de l'opposition. qui avait d'une certaine manière, assimilé les mutins de 1917 aux Waffen SS. "Si elle l'avait eu à côté d'elle, ma mère lui aurait balancé une paire de claques" assure Jean-Marie Sepchat bien décidé à poursuivre l'impétrant de sa vindicte. 80.000 tués pour rien "Que ces soldats, fusillés pour l'exemple, au nom d'une discipline dont la rigueur n'avait d'égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd'hui, pleinement. notre mémoire collective nationale" : par cette phrase, prononcée le jeudi 5 novembre à Craonne, le premier ministre, Lionel Jospin, n'a pas seulement secoué le Landernau politico-médiatique. Il a également remis en lumière un épisode peu glorieux de la Première Guerre mondiale : les mutineries (ou plutôt les mouvements d'humeur) consécutives à l'offensive ratée autant que meurtrière, du général Nivelle, et la répression qui a suivi. S'il avait ordonné à temps, le repli
des troupes lancées le 16 avril 1917, à l'assaut du chemin
des Dames, au sud de Laon (Aisne), Robert Georges Nivelle n'aurait pas
accolé son nom à l'un des échecs militaires les plus
sanglants de notre histoire. Mais, pour s'être obstiné en
pure perte, il fit 140.000 victimes (tués, blessés ou disparus)
pendant la première quinzaine de combats et provoqua la mort
d'au moins 80 000 soldats en deux mois.
Car l'histoire a fait litière des accusations de pacifisme ou de "bolchévisme", et montre, qu'en fait, les soldats
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Voir aussi : http://francegenweb.org/memorialgenweb |
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